vendredi 25 septembre 2009

Bim, Bam, Boum,

Ce petit garçon souhaite gagner la pointe de la Terre.

C’est qu’il y a l’océan, le vent, les maisons blanches et les falaises. C’est sans doute un régal !

Là-bas, bien au calme, des enfants jouent avec la douceur. A la fraîche, des enfants jouent au ballon dans les ruelles.

Le petit garçon a envie de ça lui aussi. Il demande à un monsieur comment faire pour s’y rendre.

Le garçon sort ses crayons de couleur. Il dessine la mer et la falaise qui se jette dans la mer. Il dessine un chemin qui va du village à la mer. Il met du blanc sur les maisons, du marron sur le sol, du soleil et du vent. Il fait un beau dessin.

Par les fenêtres du train, la lune joue à cache-cache avec les arbres. On longe des marais, des champs jaunes. Sur un sentier, il aperçoit quelqu’un qui fait du VTT. C’est bientôt la ville grise, rouge, pluvieuse. Puis de nouveau le train : des tunnels, des ponts. Des cailloux et des endroits déserts. C’est loin !

Enfin, le train entre en gare de la pointe de la Terre. Le petit garçon aperçoit, là-haut, des enfants avec un cerf-volant. Ses futurs compagnons !

Le contrôleur ressemble à un berger allemand. Le garçon lui montre son beau dessin. Le contrôleur aboie :
« Un dessin pour billet ? On n’a jamais vu ça ! Retournez sans plus tarder d’où vous venez ! C’est du n’importe quoi ! »

L’enfant n’est pas content. Mais, au retour, un homme mûr et sûr le remet sur les rails –si j’ose dire.

Le garçon sort son cahier de brouillon. Il invente une chanson où il met de la sieste, de la chaleur et même : deux chiens errants. Puis, à un balcon, il chante des fleurs, du linge qui sèche, des pas qui courent dans les ruelles. Il compose une musique avec le bruit des vagues et des mouettes, et un refrain avec les mots « cailloux », « terre » et « bleu ». C’est une jolie chanson.

Dans l’avion, il voit les maisons devenir des quartiers, et les quartiers des villes, et tout n’est bientôt plus qu’une toute petite maquette, gigantesque, avec les arbres qui sont de toutes petites boules vertes, les grands immeubles des boîtes d’allumettes et les lacs des flaques d’eau. Bientôt les nuages moutonnent au-dessous du garçon. Il est près du hublot.

L’avion se pose sur une piste isolée. On y surplombe la pointe de la Terre. Le garçon aperçoit, en contrebas, un âne tiré par trois enfants en maillot de bain. Etre pieds nus sur les chemins, se baigner, tirer un âne… ça donne envie !

Le contrôleur ressemble à un corbeau fripé. Le garçon lui offre sa chanson. Il a une voix claire et libre. Le contrôleur ne le laisse pas finir, il s’essuie le front avec un mouchoir noir et il croasse :
-Quoi ! Une chanson pour payer le trajet ! N’y comptez pas ! Et reprenez sans plus tarder votre place dans l’avion ! Vous et votre chanson, on va vous ramener d’où vous venez !

Le garçon est extrêmement déçu. Si près du but ! Or, de retour chez lui, une personne sage, de celle qu’on dit, c’est un mot compliqué, pragmatique, lui explique, bim bam boum, la marche à suivre.

Cette nuit-là, le garçon rêve qu’il court dans les rues poussiéreuses, jusqu’au port où un vieil homme l’emmène à la pêche tout le jour durant…

Alors comme le monsieur pragmatique a bonne réputation et qu’on dit de lui qu’il donne de bons conseils, le garçon se met à sculpter, d’abord le corps d’un enfant au torse fort, pieds nus, avec des yeux ronds et un short de footballeur. Puis un ballon et une vespa, et enfin un verre vide à la terrasse d’un café. Il prend beaucoup de plaisir à sculpter tout ça. Ce sont de belles sculptures.

Le voyage en voiture est fatigant. La route serpente, monte, se noie dans des vallées, des péages. Le garçon a la bougeotte. Il en a marre de ce chauffeur tranquille et docile.

Dans une station service, le chauffeur prend un café dans un gobelet en plastique. Le garçon n’en peut plus, et il a peur aussi. Il a envie d’être en train de pêcher avec son vieillard préféré, son vieillard sage et calme. Il n’en peut plus de cette ferraille, cet air conditionné, cette radio. Il ne remarque ni le paysage qui défile, ni les kilomètres au compteur. Il ne voit que les jours, les nuits, et les jours que ça dure.

Or, un jour, au loin se profile la pointe de la Terre. Le garçon retrouve sa bonne humeur. Son corps s’émoustille. Mais le chauffeur prend peu à peu des allures de rat. A une aire de repos, le garçon entrevoit, au loin, des femmes en train de vider des poissons, des poisson qui viennent d’être pêchés, encore tout frétillants ! Il a l’eau à la bouche. C’est la fin du voyage. Le rat ratine :
« Et tu comptes me payer, gentil garçon, avec quatre sculptures ?! Tu n’as donc rien compris ! Tu apprendras à te payer ma tête… en rentrant avec moi d’où nous venons ! »

Le jeune garçon –il est devenu jeune avec tous ces voyages– est totalement perdu. Il n’a plus de confiance. Les gens lui ont menti, des pieds jusqu’à la tête. Heureusement qu’un homme, un homme respectable, plein de justesse et de bon sens, de discernement, de retour au pays lui conseille ce qui suit :
« Si tu veux, si tu veux vraiment parvenir au village de la pointe de la Terre, alors prends le ferry ! Tu y seras demain, sans soucis, comme la marée qui chaque jour va, et se retire ! »

Le garçon imagine un poème :
« Si le vent est clément, si la mer ne m’absorbe,
Moi, Ulysse, gravirai
quoi ? Moi, Ulysse, seul,
etc. »
Mais ce n’est pas assez violent. Alors il créé un vrai poème d’aujourd’hui. Ce poème est dansant, sautillant, et en même temps il est solide. Le garçon le relit plusieurs fois. Il est très fier de lui.

Voici comment se déroule le voyage en ferry : c’est long de larguer les amarres, mais après plus personne pendant des jours, étoiles, nuages, écume, et notre ami toujours pieds nus sur le pont, sous le soleil, à regarder la ligne d’eau de l’horizon. Rien que la mer. Pendant des jours et des jours. C’est le chemin des écoliers !

Arrive la pointe. Débarquez. Sur le quai, des camions, des conteneurs, une criée. Ça a l’air si violent, et les maisons !
Mais non : le contrôleur, on dirait un croco ! Il montre ses crocs ! Le garçon se lance dans sa poésie. Il a une certaine énergie. C’est vraiment une bonne poésie. Mais le crocodile croquette que non, que c’est pas comme ça, que tiens celle-là on lui avait pas faite encore, elle manquait. Guère besoin qu’on lui explique au garçon.

Pauvre vieux ! Il ne peut pas aller où il veut ! Décidément ! Il décide de se venger en organisant une sorte de biennale dans une galerie, où il exposerait un dessin, donc celui pour le train, des sculptures, donc celles pour le chauffeur, etc.
Il créé des cartons d’invitation où il invite des gens pour son vernissage. C’est dans une galerie garnie de la Roche-sur-Yon. Les contrôleurs rentrent dans la galerie. Ils sont habillés d’une veste en croco noire. Ils ont une plume dans le derrière parce qu’ils ont l’air méchant. Puis ils regardent. Les œuvres sont exposées comme dans un musée mais avec le prix de chaque chose. Ils sourient :
« -Ça c’est un aller-retour en train !
-Ça c’est pareil en avion ! ah ! ah ! »
Une cloche sonne. C’est madame la galeriste qui fait applaudir le garçon qui présente sa démarche d’artiste. Alors chaque contrôleur, qui dessin, qui chanson, qui sculpture, qui poésie, achète l’œuvre pour la mettre sur sa cheminée.

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